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le 08 novembre 2017

Etude de HENRI ISAIA : LA REFORME DU DROIT DE LA COPROPRIETE PAR ORDONNANCES 1ère partie

LA REFORME DU DROIT DE LA COPROPRIETE PAR ORDONNANCES : IMPACT EVENTUEL SUR LES RESIDENCES SERVICES EN COPROPRIETE

ÉTUDE

de Henri ISAÏA

LA RÉFORME DU DROIT DE LA COPROPRIETÉ PAR ORDONNANCES : IMPACT EVENTUEL SUR LES RÉSIDENCES SERVICES EN COPROPRIÉTÉ

(Première partie - datée du 8 novembre 2017)

Différentes sources d’information plus ou moins récentes ont mis en évidence la volonté des pouvoirs publics de procéder à un réexamen en profondeur du régime juridique de la copropriété des immeubles bâtis, tel qu’il est issu de la loi du 10 juillet 1965 et de ses modifications ultérieures, avec, depuis l’élection du Président Macron et la formation du gouvernement d’Édouard Philippe, la volonté d’y parvenir par ordonnances.

De fait, en l’espace d’une cinquantaine d’années, la loi dont il s’agit a connu plusieurs dizaines de modifications destinées à adapter le régime des copropriétés à l’évolution des problématiques économiques, sociales et environnementales, tout en tenant compte des difficultés rencontrées dans sa mise en   œuvre, ainsi que de l’évolution de la doctrine et de la jurisprudence. Durant cette période, le nombre d’articles de la loi a plus que doublé. Par ailleurs, il faudra aussi tenir compte du fait qu’avec l’irruption du numérique, la copropriété tend à devenir digitale et interactive sur le Net, notamment par le biais de plateformes de services consacrées aux immeubles et à leur gestion.

Si l’on s’en tient au problème plus particulier qui fait l’objet de la présente étude, centrée sur l’éventuel impact de la réforme dont il s’agit sur les résidences services en copropriété, il convient de relever que la réécriture de la loi de 1965 interviendrait après qu’ait été adoptée récemment une redéfinition en profondeur de leur régime juridique. Redéfinition obtenue par la voie parlementaire, après de nombreux travaux préparatoires et qui a finalement été inscrite dans les articles 14, 15 et 91 de la loi du 28 décembre 2015 d’adaptation de la société au vieillissement (voir à ce sujet Henri ISAÏA, « Les résidences services seniors – Statut juridique et modèle économique d’un secteur en développement », Éditions Eyrolles, 2016). Il serait donc intéressant de savoir dans quelle mesure les orientations et les dispositifs juridiques de la réécriture de la loi du 10 juillet 1965 pourraient impacter le contenu de cette législation récente. Cela en sachant que celle-ci a su trouver des solutions relativement équilibrées face à des intérêts parfois divergents entre les parties prenantes.

Après avoir retracé les prémices de la réforme envisagée et les orientations générales qui s’en dégagent (I), nous examinerons, au vu des propositions dont elles sont assorties, son impact éventuel sur le régime juridique et les modalités de fonctionnement des résidences services en copropriété (II).

  1. Les prémices de la réforme envisagée et les orientations générales qui s’en dégagent.

Sous la présidence de François Hollande, le 12 octobre 2015, le Ministère de l’Écologie, du Développement Durable et de l’Énergie et le Ministère du Logement, de l’Égalité des Territoires et de la Ruralité avaient lancé un « Appel à propositions de recherche sur le thème « Copropriétés : vers une transition juridique ? », avec une date limite de remise des projets au 20 novembre 2015 (voir le texte complet de cet appel, lancé via l’agence interministérielle PUCA (Plan, Urbanisme, Construction, Architecture), à l’adresse http://www.urbanisme-puca.gouv.fr/IMG/pdf/PUCA_Appel_a_propositions_Transition_juridique.pdf.

Cet appel à candidature et à propositions prévoyait, « dans le cadre de la transition énergétique, à la lumière de l’expérience d’autres pays, une exploration des pistes de modification du cadre juridique visant à faciliter la remise en état des immeubles selon une dynamique de projet collectif adaptée aux immeubles et aux ménages concernés ».

Dans la note d’information de cet appel d’offres on pouvait lire, à propos des difficultés de la copropriété : « L’hypothèse avancée selon laquelle le cadre juridique français établi aurait des effets induits allant à l’encontre de la capacité du copropriétaire à intervenir pour protéger et entretenir son patrimoine est-elle vérifiée ou non ? Les modifications de la loi de 1965 ont tenté de rapprocher les principes légaux des pratiques. Le cadre juridique existant aujourd’hui intégrant les dernières modifications répond-t-il suffisamment ou non aux besoins de la copropriété. Si non, quelles seraient les avancées possibles à prévoir pour éviter aux immeubles le risque de tomber dans la spirale de la dégradation et faciliter la réalisation des travaux nécessaires tout en veillant au reste à vivre des habitants ? Est-il possible de développer une dynamique de changement ? »

Et, s’agissant des solutions envisagées : « Regrouper l’indivision et le syndicat des copropriétaires, pour constituer une véritable personnalité morale, réellement maître d’ouvrage puisque propriétaire des biens communs à entretenir ce qui permettrait d’organiser une véritable gestion patrimoniale ».

En matière de gouvernance, l’appel à propositions se demandait notamment si le contrôle de gestion confié au conseil syndical apparaissait « suffisant et à même de créer un climat de confiance nécessaire au bon fonctionnement et à la prise de décision dans les copropriétés », l’hypothèse avancée étant que « la création d’une entité interne de gouvernance spécifique pouvant correspondre au conseil syndical ou à un bureau type association syndicale libre (ASL) constituerait une réponse aux difficultés constatées dans les copropriétés. Il s’agirait :

- d’organiser la gouvernance autour d’une assemblée de copropriétaires et de cet organe de direction interne élu par l’assemblée, responsable de la gestion courante et de la programmation de la gestion patrimoniale, le président de cette entité serait ainsi le représentant légal de la copropriété ;

……….

- de définir clairement les rôles de l’assemblée et de l’organe de direction par une répartition des prérogatives, le fil conducteur étant de confier à l’assemblée toutes les décisions structurantes ou engageantes comme les budgets de fonctionnement et d’investissement et à l’organe de direction la gestion courante, les imprévus et la préparation de la programmation moyen et long terme soumise à l’assemblée générale ;

- de revoir les règles de vote de manière à pénaliser l’absentéisme chronique ».

Ceci afin de « redonner aux copropriétaires l’envie de participer à la gestion de leur bien commun et de faciliter leur mobilisation autour de projets collectifs communs » et de «  renforcer le rôle du syndicat par rapport aux acteurs externes ».

Apparemment, le marché ne semblait pas avoir trouvé preneur. Mais selon nos informations, la recherche lancée à l’initiative de l’agence PUCA serait actuellement en cours. Elle serait coordonnée par l'université François Rabelais de Tours. Elle comporterait deux parties. La première partie consisterait en un repérage des formes juridiques de l'habitat groupé à l'étranger. La seconde porterait sur la copropriété en France. Le ministère de la Justice y serait considéré comme le seul ministère chargé de la loi de 1965 et de toute révision qui la concernerait.

Toutefois, une initiative allant dans le même sens a été prise par le GRECCO (Groupe de RECherche en COpropriété) qui se serait purement et simplement auto-saisi du sujet, coupant ainsi « l’herbe sous les pieds » à l’initiative de l’agence PUCA (ce qui est sans doute significatif de l’importance des enjeux qui sont en cause lorsque les pouvoirs publics manifestent leur intention d’intervenir dans le domaine de l’immobilier, notamment en ce qui concerne la détermination du ou des ministères chargés du pilotage de la réforme).

Le GRECCO, dont les travaux sont dirigés par Hugues Périnet-Marquet, professeur de droit à l’université Panthéon-Assas, est un groupe de travail pluridisciplinaire composé d’une quinzaine d’avocats, d’experts, de géomètres, de notaires et d’universitaires. Il a été créé en février 2015 à l’initiative de la Chambre nationale des experts en copropriété. Ce groupe est né après que la Commission relative à la copropriété (CRC) ait été supprimée par le décret n° 2014-132 du 17 février 2014 (voir à ce sujet une Question écrite n° 11220 de M. Jean-Claude Leroy (Pas-de-Calais - SOC), publiée dans le JO Sénat du 17/04/2014 - page 958 et la Réponse du Ministère de la justice publiée, dans le JO Sénat du 25/09/2014 - page 2214). Il en ressort que la Commission avait été supprimée afin de « mettre un terme à l'inflation du nombre de commissions consultatives qui nuit à la lisibilité et à l'efficacité de l'action publique » mais également dans le but de « réformer les pratiques de consultation préalable à la prise de décision ». La création du GRECCO montre toutefois que cette commission avait son utilité puisqu’un organisme assez proche a dû être créé à sa place.

Dans un article intitulé « La réforme de l’immobilier, ce sera aussi par ordonnances » publié sur Internet le 18 septembre 2017, signé Nafy-Nathalie et h16, il est indiqué que « cette commission permettait aux organisations professionnelles, copropriétaires, notaires et avocats de débattre sur les textes réglementaires voire législatifs avant leurs consultations. Ses recommandations étaient suivies pour la mise en pratique des mesures votées. Mais voilà : l’usage pris par les ministres de contacter directement les organisations professionnelles qui en étaient membres l’a rendue inutile tout en supprimant son principal intérêt, apporter à l’État un avis consensuel obtenu en tenant compte de tous les points de vue » (à l’adresse https://planetes360.fr/reforme-de-limmobilier-sera-ordonnances/).

Le groupe de travail du GRECCO, présidé par le Professeur Hugues PERINET-MARQUET, est composé de Denis BRACHET, géomètre-expert ; Véronique BACOT-REAUME, expert judiciaire ; Patrick BAUDOUIN, avocat ; Eliane FREMEAUX, conseil supérieur du notariat ; Laurence GUEGAN avocate ; Florence JAMMES, maître de conférences ; Jacques LAPORTE, conseiller du Président de Foncia ; Patrice LEBATTEUX avocat ; Agnès LEBATTEUX avocate ; Stéphane LELIEVRE notaire ; Agnès, MEDIONI, gestionnaire de copropriété, expert ; Bernard PEROUZEL expert ; Olivier SAFAR, gestionnaire de copropriété

Le texte élaboré par le GRECCO au terme de sa réflexion est téléchargeable sur Internet en version pdf à l’adresse  https://www.dalloz-actualite.fr/flash/copropriete-voudrait-reformer-tous-etages#.Wfl6JoaDNVo, sous l’intitulé « Présentation de l’avant projet de réforme de la loi du 10 juillet 1965 » (version établie à la mi-juin 2017) ; on en trouve également une version un peu différente diffusée par la Lettre Habitat et collectivités locales (HCL), à l’adresse https://www.habitat-collectivites-locales.info/download/3178/1/1/, sous l’intitulé « Projet de simplification et de mise à jour de la loi du 10 juillet 1965. Présentation - Document de travail 14 juillet 2017 ».

Ce projet examine la loi dont il s’agit article par article et pour la plupart d’entre eux énonce des propositions de modification ou de suppression. Il contient aussi une réécriture de la loi du 10 juillet 1965. Ce projet aurait été remis à la Chancellerie en juillet 2017 puis au ministère de la Cohésion des territoires en septembre. Il devrait servir de base à la rédaction de l’ordonnance projetée.

Les travaux du CRECCO ont été prolongés par les réflexions menées par un groupe de travail composé sous l’égide de l’Association Plurience qui rassemble les grands opérateurs du secteur de l’immobilier (Akerys, Billon immobilier, la Bourse de l’immobilier, BNP immobilier, Crédit agricole immobilier, Foncia, Loiselet & Daigremont, Nexity, Oralia, Provicis Immobilier, Sergic, Square habitat, Tagerim et Urbania) et les principaux réseaux d’agents immobiliers (l’Adresse, Century 21, ERA, Guy Hoquet, Laforêt et ORPI). Réflexions qui ont débouché au cours de l’année 2017 sur un document destiné à compléter, point par point, le travail d’expertise du GRECCO et à veiller à ce qu’une éventuelle réforme de la loi du 10 juillet 1965 tienne compte des évolutions futures des métiers impliqués en matière de copropriété[1].

Sur les conditions dans lesquelles ont été engagés ces différents travaux et réflexions sur d’éventuelles améliorations à apporter à la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, voir :

- « Le GRECCO : l’oligarchie à la tête de la copropriété », sur le site syndicpro, à l’adresse http://www.syndicpro.fr/2017/10/01/le-grecco-loligarchie-a-la-tete-de-la-copropriete/ ;

- « Copropriété : la transition juridique – Des rénovateurs séditieux à la Chambre des experts en copropriété : Ouf ! L’admission du vote par correspondance dans le statut de la copropriété », par Jean-Pierre Mantelet, à l’adresse http://www.jpm-copro.com/Copropriete%20la%20transition%20juridique%202017.htm.

 

Après l’élection à la Présidence de la République d’Emmanuel Macron et la nomination d’Édouard Philippe comme Premier ministre, cette démarche réformiste s’est poursuivie, avec la volonté de procéder à la réécriture de la loi de 1965 par voie d’ordonnances.

Sur cette option, voir « Les ordonnances sur le droit de la copropriété peut-être déjà écrites », 19 septembre 2017, sur le site de l’Association des Responsables de Copropriété (ARC), à l’adresse  https://arc-copro.fr/documentation/les-ordonnances-sur-le-droit-de-la-copropriete-peut-etre-deja-ecrites.

Dans cet article, l’intervention en première ligne du GRECCO faisait l’objet de critiques. L’ARC observait que « si on peut convenir que la loi du 10 juillet 1965 a besoin d’un nettoyage en profondeur, et ce malgré les différentes évolutions législatives déjà enregistrées, il est nécessaire de garantir un réel échange avec les différents acteurs de la copropriété et, en premier lieu, les représentants des syndicats de copropriétaires. Cela est logique puisque ce sont eux qui vivent au quotidien dans les copropriétés, étant en mesure d’identifier les difficultés rencontrées ainsi que les solutions à préconiser. C’est dans ce cadre qu’il est impératif que les associations représentatives comme l’ARC puissent être associées à la rédaction de ces ordonnances. Ceci étant, on peut tout de même être inquiets lorsque l’on sait qu’un groupement de professionnels se nommant le GRECCO (Groupe de RECherche en COpropriété) a indiqué en décembre 2016 avoir commencé à travailler à la réécriture de la loi du 10 juillet 1965. Ce qui est regrettable c’est que ce consortium ait évacué tout représentant de syndicat de copropriétaires, voulant hisser le droit de la copropriété au niveau d’une science réservée aux initiés, niant ainsi sa place dans un usage quotidien. Nous espérons que les pouvoirs publics sauront faire la part des choses entre les lobbies des professionnels ou la théorie des universitaires et les réels besoins des copropriétaires et conseillers syndicaux ».

À propos du recours à des ordonnances, l’ARC disait craindre « les pouvoirs d’influence des professionnels de l’immobilier et, en particulier, des syndics de copropriété », dénonçant « un véritable risque d’adopter « en bloc » des dispositions qui mettraient en difficulté l’équilibre des forces entre les différents acteurs de la copropriété ». Dans un communiqué de presse daté du 17 octobre 2017 l’association avait aussi rappelé que le ministre de la Cohésion des Territoires Jacques Mézard avait indiqué en début de mandature du nouveau Président de la République qu’il n’y avait pas d’urgence à légiférer en matière de copropriété. Le 2 octobre 2017 elle avait déjà adressé à ce sujet un courrier au Président de la République (voir à l’adresse https://arc-copro.fr/documentation/larc-saisit-le-president-de-la-republique-au-sujet-des-ordonnances-copropriete). Au passage on peut faire observer que, dans l’interview qu’il avait accordé à Business Immo le 7 mai 2017 à propos de ses intentions en matière de logement et plus généralement d’immobilier, le Président Macron tout nouvellement élu n’avait pas du tout évoqué une éventuelle réforme du droit de la copropriété (voir cet interview à l’adresse https://www.businessimmo.com/contents/81840/le-programme-immobilier-du-president-de-la-republique-elu).

Dans un article intitulé « La réforme de l’immobilier, ce sera aussi par ordonnance », signé Nafy-Nathalie et h16, publié sur le site Contrepoints, à l’adresse https://www.contrepoints.org/2017/09/18/298985-reforme-de-limmobilier-sera-ordonnances, il était noté que la lecture de l’appel d’offres (lancée par le PUCA) n’était pas inintéressante « surtout concernant le point 2.2 qui touche à l’évolution de la gouvernance : le syndic ne serait plus le représentant légal de la copropriété mais un professionnel à consulter. Le représentant légal serait le Président du Conseil Syndical et tout ceci pour « (…) assurer la réactivité indispensable de la gouvernance en matière de grosses réparations comme de travaux d’économie d’énergie et la prise de conscience de la nécessité de préserver le bien commun par les copropriétaires. » En somme, et sous couvert de rendre la copropriété plus flexible, il est question de donner à un petit groupe de copropriétaires le pouvoir de décider et engager des travaux importants sans l’aval des autres copropriétaires. L’État est persuadé que si les travaux qu’il a décidés comme indispensables ne sont pas engagés, ce n’est pas parce que les obligations coûteuses de diagnostics ou de travaux se multiplient, que les normes changent constamment, que la bourse des copropriétaires n’est pas extensible ou que les copropriétaires n’en peuvent plus (on a vu le cas avec les ascenseurs) par exemple… Ordonnances par ci, ordonnances par là, on finirait presque par déceler comme une sorte de mépris à l’idée de démocratie ou, plus prosaïquement, à l’idée encore plus saugrenue que les individus, entre eux, sont finalement aptes à régler la plupart de leurs problèmes. Devant cette attitude de plus en plus présente au sein des institutions de l’État, difficile de s’étonner ensuite de la chute du taux de participation aux élections et de la désaffection grandissante des citoyens envers la politique.

Autre sujet d’inquiétude concernant plus précisément les propositions du GRECCO : la création d’un conseil d’administration à la place du conseil syndical dans les copropriétés importantes, perçue comme traduisant la volonté de neutraliser l’assemblée générale, au motif que le fonctionnement de cet organe démocratique ralentirait la prise de décisions et par conséquent nuirait à l’efficacité de la copropriété.

Sur ce point voir un article de Jorge Carasso, de novembre 2017, intitulé « Loi de 1965 : vers des copropriétés gérées comme des entreprises », à l’adresse http://leparticulier.lefigaro.fr/jcms/p1_1701320/loi-de-1965-vers-des-coproprietes-gerees-comme-des-entreprises ;

Voir également un article intitulé « Copropriété : Une réforme en vue mais des propriétaires non consultés », publié le 13 octobre 2017 sur le site mon-immeuble.com, à l’adresse https://www.mon-immeuble.com/actualite/copropriete-une-reforme-en-vue-mais-des-coproprietaires-non-consultes.

En octobre 2017, suite aux critiques de l’ARC évoquées plus haut, l’association de consommateurs CLCV (Consommation, Logement et Cadre de vie) a publié un Livre blanc intitulé « Copropriété : Des réformes à entreprendre », consultable sur Internet en format PDF à l’adresse http://clcv-valdemarne.fr/wp-content/uploads/2017/10/Livre-blanc-D%C3%A9f-Version-PDF.pdf.

Parmi les 31 propositions avancées  :

- assouplir les règles de majorité afin de prendre uniquement en compte les seules voix des copropriétaires présents ou représentés et permettre le vote par correspondance ;

- déroger au formalisme de l’assemblée générale annuelle obligatoire et prévoir, à la place, un droit de réunion pouvant être demandé à tout moment et par tout moyen par un copropriétaire en vue de statuer sur des points concernant la gestion de l’immeuble ;

- possibilité, pour les copropriétaires, d’opter à tout moment pour un syndicat de forme coopérative par un vote en assemblée générale ;

- étendre à toutes les copropriétés le conseil des résidents institué par la loi du 28 décembre 2015 dans celles qui fournissent des services spécifiques ;

- obliger le syndic à rendre compte de sa gestion et pour la validité de sa désignation obligation pour lui de joindre à la convocation de l’assemblée générale un compte rendu de son activité et notamment un suivi de l’exécution des résolutions de la précédente assemblée ;

- simplifier les règles statutaires pour les très petites copropriétés.

L’association ne manquait pas de relever au passage que « si l’on peut saluer la volonté de réforme, procéder par voie d’ordonnance est problématique puisque cela évite tout débat devant le Parlement et permet ainsi aux lobbys des professionnels de l’immobilier d’influencer la plume des rédacteurs. On notera que la Chancellerie ne porte pas le projet, ce qui est très curieux, la copropriété relevant de sa compétence » (page 11).

De son côté, l’UNARC (union nationale des associations de responsables de copropriété) a elle aussi appelé à la consultation des représentants des syndicats des copropriétaires.

Quant à la Fédération nationale de l’immobilier (FNAIM), elle a critiqué notamment le caractère peu transparent de la méthode choisie par le Gouvernement et mis en avant ses principales attentes concernant la révision de la loi du 10 juillet 1965, à savoir  : l’instauration d’une carte professionnelle « Syndic », la mise en place d’un extranet copropriété et un renforcement du rôle des garants financiers dont les procédures de contrôles périodiques et inopinés devraient être renforcées, sur la base d’un référentiel commun (en s’inspirant des dispositions sur ce point contenues dans la loi Hoguet du 2 janvier 1970).

S’il reprenait dans ses projets d’ordonnances l’essentiel des propositions du GRECCO, le Gouvernement bouleverserait la gestion des copropriétés, au moins pour les plus dimensionnées d’entre elles. Les décisions importantes et coûteuses seraient prises en petit comité (par un conseil d’administration) du fait du dessaisissement de l’assemblée générale des copropriétaires. Plus généralement, la gestion des copropriétés prendrait une allure nettement plus entrepreneuriale, s’apparentant à celle des entreprises. Avec le risque que les assemblées générales des copropriétaires soient cantonnées au même rôle, relativement accessoire, que jouent généralement les assemblées d’actionnaires dans la gestion des sociétés de capitaux.

On s’éloignerait alors du modèle français de copropriété, que Jean-François Buet avait résumé ainsi, dans un article intitulé « La copropriété, une démocratie qui fonctionne » (publié le 14 aôut 2015, sur le site LesÉchos.fr, à l’adresse https://www.lesechos.fr/14/08/2015/LesEchos/22001-024-ECH_la-copropriete--une-democratie-qui-fonctionne.htm« Quel édifice le législateur a-t-il construit, inspiré par des juristes de talent - le haut conseiller Pierre Capoulade entre tous - et des professionnels de la gestion ? Il a bâti une organisation démocratique des immeubles, fixant les règles de vie commune des propriétaires. La logique de fonctionnement patrimonial imposée par la loi de 1965 est calquée sur celle qui régit les rapports des citoyens à leur République. On y retrouve la souveraineté du peuple et le partage des pouvoirs. On y retrouve en particulier la désignation d'un délégataire de la mission d'exécuter les décisions, titulaire d'un mandat impératif ».

La tendance à rapprocher le régime de la copropriété du monde des affaires n’est pas totalement nouvelle. Par exemple, dans leur ouvrage intitulé « Sauvons les copropriétés, ce qu’il faut changer », publié en 2011 aux éditions Copro, Cécile Barnasson et Pierre Olivier avaient déjà proposé la mise en place d’une  « société de copropriété »  détenue par des copropriétaires-actionnaires, le syndic devenant alors un  simple prestataire au lieu d’un mandataire. Cette société aurait été dirigée par un conseil d’administration. Les copropriétaires auraient ainsi repris les rênes de la gestion financière de l’immeuble, tout en pouvant se faire assister par des professionnels de la gestion : les syndics et autres experts. 

Si, dans la conception du droit français, la pleine propriété des parties privatives est associée en principe à une propriété indivise des parties communes, ce n’est déjà plus le cas dans les résidences avec services en forme de copropriétés où un exploitant professionnel est propriétaire d’un lot constitué des parties communes et installations nécessaires au fonctionnement des services spécifiques (ce que l’on appelle les résidences services de deuxième génération ). De même, par rapport au statut particulier de copropriété issu de la loi du 13 juillet 2006, celui institué par l’article 14 de la loi du 28 décembre 2015 fait entrer les résidences services de première génération qui y seront soumises (sur option pour celles déjà existantes et de plein droit pour celles qui pourraient être créées) dans la sphère commerciale. En effet, tous les services spécifiques qui y sont dispensés, non individualisables ou individualisables, sont désormais gérés par des prestataires extérieurs et à l’exclusion du syndic et de toute personne physique ou morale ayant des liens avec lui, ou d’une association de la loi de 1901 (voir à ce propos Henri Isaïa, « Les résidences services seniors – Statut juridique et modèle économique d’un secteur en développement », Éditions Eyrolles, 2016). Ceci étant valable aussi bien pour des résidences seniors que pour celles destinées à l’hébergement d’étudiants, de touristes ou d’hommes et femmes d’affaires.

Les résidences services de première génération sont des copropriétés dans lesquelles les coûts représentatifs des charges de services sont « mutualisés » entre tous les copropriétaires (par application, pour la répartition de ces charges, du principe d’utilité prévu par l’article 10 de la loi du 10 juillet 1965) et où la gestion des services peut être effectuée « en régie » par le syndicat de copropriété, avec éventuellement le recours à une association de la loi de 1901. Les promoteurs immobiliers ont abandonné la construction de ce type de copropriétés avec services au profit des résidences de deuxième génération dans lesquelles un exploitant professionnel, propriétaire des locaux et installations de services, gère commercialement l’établissement tout en louant aux résidents les appartements que leurs propriétaires lui ont donné en location pour voie de baux commerciaux pour une durée généralement de 9 ans.

Plusieurs pays étrangers se sont déjà engagés dans la voie que le gouvernement français se propose d’explorer. Par exemple, en s’inspirant du droit américain et australien, l’Angleterre a adopté en 2002 un système d’organisation  de la copropriété sous forme de société avec la création de la « commonhold association ». Celle-ci est une société  propriétaire des parties communes, dotée d’un conseil d’administration assurant l’entretien et la gestion de la copropriété ; ce conseil d’administration comprend des copropriétaires mais également des professionnels de l’immobilier. C’est également le cas en Finlande où l’achat d’un appartement se fait sous forme d’actions d’une société immobilière.

L’évolution du droit de la copropriété dans le sens d’un rapprochement avec le monde des affaires ne fait pas cependant l’unanimité.

Le rapport sur les copropriétés dégradées établi en 2012 par Dominique Braye, président de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) n’avait pas pris parti pour une telle orientation. Certes, il avait mis l’accent sur la nécessité de faire évoluer les mentalités dans une culture du logement trop marquée par une approche individualiste des copropriétaires et incité ces derniers « à apprendre à penser collectif et à voir à plus long terme ». Mais la principale mesure proposée (un triptyque « diagnostic - plan pluriannuel de travaux – fonds de travaux » rendu obligatoire pour toutes les copropriétés) ne remettait pas fondamentalement en cause notre modèle traditionnel de copropriété. 

Le Livre blanc élaboré en octobre 2017 par l’association de consommateurs CLCV, évoqué plus haut, restait fidèle à ce modèle traditionnel de copropriété et souhaitait seulement  des améliorations concernant principalement les dispositions relatives aux petites copropriétés et la création d’un statut de locataire en copropriété. L’association justifiait le sens de ses préoccupations en faisant valoir qu’en 2011 « on dénombrait 616 564 copropriétés en France. 69% d’entre elles ont 10 logements ou moins. 6 854 081 ménages vivent en copropriété et près de 40% des résidences principales sont situées dans des immeubles de 1 à 50 logements » (page 11 du Livre blanc). 

Cependant, à l’aube d’une réforme de grande ampleur de notre droit de la copropriété, il paraît peu probable que, dans le contexte d’un néolibéralisme triomphant et en tenant compte de l’assentiment de nombreux acteurs du secteur immobilier aux orientations du GRECCO (dont ils sont d’ailleurs membres), l’héritage du passé dans ce domaine juridique puisse résister à la généralisation semble t’il inexorable des rapports marchands et à pénétration de l’économicité dans le discours du droit, conçue comme « l’obtention rationnalisée de résultats bénéfiques pour les collectivités » par une meilleure combinaison des coûts et des rendements (« L’économicité dans les discours du droit », par Jean-François Boudet, Revue interdisciplinaire d’études juridiques, 2014/2 (Volume 73, p. 228).

Sur la copropriété dans le monde, voir les indications très détaillées figurant dans le blog de Touati-Immo, à l’adresse https://touatiimmo.wordpress.com/2016/01/02/copropriete-dans-le-monde-2/.

et aussi, le site Droit comparé de la copropriété, à l’adresse http://coproprietealetranger.e-monsite.com/.

Voir également « La copropriété, invention française, en développement "à l'international", par Par Olivier J Brane, Avocat honoraire, spécialisé en droit de la copropriété, expert auprès de l'Institut des Experts Juridiques Internationaux (I.F.E.J.I.), à l’adresse https://www.construction21.org/france/articles/fr/la-copropriete-invention-francaise-en-developpement-a-linternational.html.

ou encore JMP-COPRO, Droit et pratique de la copropriété, le site de Jean-Pierre Mantelet, à l’adresse http://www.jpm-copro.com.

Dans la perspective réformiste qui vient d’être évoquée, la réécriture proprement dite de la loi du 10 juillet 1965 a déjà commencée, afin de déboucher sur un ou plusieurs projets d’ordonnances.

Il semblerait qu’en fait, ni le ministère de la Cohésion des territoires ni la Chancellerie, habituellement compétente, ne soient, pour le moment, directement à la manoeuvre. À l’Élysée, c’est le conseiller technique au logement, Tristan Barres, qui piloterait ce dossier (selon des informations figurant dans un article d’ Isabelle Rey-Lefebvre intitulé « Le gouvernement veut que les grandes copropriétés soient gérées comme des entreprises », publié le 13 octobre 2017 sur le site Le Monde Économie, à l’adresse http://www.lemonde.fr/economie/article/2017/10/13/le-gouvernement-veut-que-les-grandes-coproprietes-soient-gerees-comme-des-entreprises_5200191_3234.html#tyOgspE7WuV6KQSX.99).

Un arrêté du 15 mai 2017 publié au JO du 13 juin a nommé Tristan Barrès (38 ans) au cabinet du Premier ministre Edouard Philippe en tant que conseiller technique logement. L’intéressé occupait déjà ce poste, mais au ministère du Logement, lorsqu’il était piloté par Sylvia Pinel puis Emmanuelle Cosse. Un second arrêté, publié cette fois au JO du 18 juin 2017, l’a nommé également au cabinet d’Emmanuel Macron. Cette dualité de fonctions est une innovation destinée à éviter le travail dit « en silo » et faciliter au contraire la communication (il semble que d’autres conseillers soient dans la même situation, ce qui va dans le sens d’une hyper-présidence du chef de l’État). Cet ingénieur en chef des Ponts, des Eaux et des Forêts était depuis octobre 2016 directeur groupe de la rénovation durable et de l’innovation du bailleur social 3F. Il avait débuté sa carrière à la DDE du Val-de-Marne, avant d’être directeur de projet pour RFF et directeur de cabinet à la mairie de Paris.

Plus précisément, le projet de loi « Droit à l’erreur et simplification », qui devrait être présenté prochainement par le ministre de l’Action et des Comptes publics en charge du dossier, M. Gérald Darmanin et soumis au Parlement si possible avant la fin de l’année 2017 (comme le ministre l’avait indiqué sur son compte Twitter le 25 juillet) contiendrait un article prévoyant de donner habilitation au gouvernement pour réformer par ordonnance le droit de la copropriété tel qu’il est issu de la loi du 10 juillet 1965.

En effet, dans le projet de loi « Droit à l’erreur et à la simplification », seraient insérées des dispositions :

- autorisant le Gouvernement à procéder par ordonnance à l'adoption de la partie législative d'un code relatif à la copropriété des immeubles bâtis, dans le but de regrouper et organiser la totalité des règles régissant le droit de la copropriété.

- autorisant également Le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi visant à améliorer la gestion des immeubles et à prévenir les contentieux, destinées à :

1° redéfinir le droit de la copropriété au regard des caractéristiques des immeubles, de leur destination et de la taille de la copropriété et modifier les règles d’ordre public applicables à ces copropriétés;

2° moderniser les règles d’organisation et de gouvernance de la copropriété, relatives à la prise de décision par le syndicat des copropriétaires ainsi que les droits et obligations des syndicats de copropriétaires et ceux des copropriétaires.

Cette façon de procéder utilisée par le Gouvernement est assez semblable à celle employée pour réformer le droit des obligations et qui s’est traduite par l’ordonnance en date du 10 février 2016. Celle-ci avait ensuite donné lieu à un très long « Rapport au Président de la République », publié au JO du 11 février 2016, texte n° 25.

Au vu de tous ces éléments d’information, et à condition que le Gouvernement s’en inspire effectivement dans ses projets d’ordonnances (ce dont on ne sera certain que lorsque ces derniers seront présentés en Conseil des ministres), quelles pourraient être les conséquences de cette réécriture de la loi du 10 juillet 1965 sur les modalités d’organisation et de fonctionnement des résidences services en copropriété ?

Ce sera l’objet du second volet de notre étude, qui sera également publié sur le site de la SOPREGI.

 

 

[1] L’Association Plurience a publié un document intitulé « Le Plan national de Rénovation des Copropriétés : la contribution de Plurience aux présidentielles », dont on trouve un résumé sur le site syndicpro, à l’adresse

http://www.syndicpro.fr/2017/03/13/le-plan-national-de-renovation-des-coproprietes-la-contribution-de-plurience-aux-prsidentielles/.